Une ingénieure à la télé : le parcours de Suze Youance

Le génie et la communication publique sont deux domaines qui se rencontrent rarement. Par ailleurs, lorsque vous incarnez ce mariage inusité, on vous regarde parfois avec étonnement, comme si vous étiez un extraterrestre.

« C’est spécial », comme dirait l’autre...

En tant que l'humble auteur de cet article et ingénieur junior, je me souviens de la première fois que je me suis intéressé à l’écriture. Je publiais des chroniques sur le secteur énergétique dans le journal étudiant de l’ÉTS, l’Heuristique. C’était en 2014-2015 et j’ignorais que cela m’amènerait un jour à écrire pour le blogue de Genium360.

La compréhension du fonctionnement concret des systèmes énergétiques ne me suffisait pas. J’avais envie de comprendre son contexte d’affaires et de partager mes réflexions avec mes pairs et le public.

Ce goût de la parole publique, je l’ai peu retrouvé dans mon milieu, mais il ne fallait pas perdre espoir! D’autres diplômé(e)s en génie exercent leur verbe et cela fait du bien. Entretien avec Suze Youance, chargée de cours à l’École de technologie supérieure (ÉTS) et animatrice de l’émission Génie d’ici de Savoir média.

D’Haïti au Canada

Le hasard fait bien les choses, selon Suze Youance. Originaire d’Haïti, son parcours est parsemé de moments clés inattendus qui ont faire prendre à sa vie des tournures qu’elle n’aurait jamais pu prévoir à l’avance.

Fait étonnant, elle me raconte qu’elle ne se destinait pas au domaine du génie! « Je pensais faire carrière en économie. J’ai un frère qui avait déjà un diplôme d’ingénieur et je voulais faire différemment. (…) C’est mon père qui a insisté pour que je passe l’examen d’entrée pour l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il me disait que le génie était un domaine prestigieux parce que difficile. (…) Il fallait être bien préparé [pour l’examen]. Sur 1 500 étudiants inscrits, seulement 120 étaient pris par cohorte en fonction du classement! »

Suze est agréablement surprise par son résultat. « Sur 120 étudiants retenus, j’étais 14e. Je me suis dit : Ah, mais c’est facile! (…) C’est comme ça que j’ai choisi le génie, mais je n’ai jamais regretté de l’avoir fait. »

Ainsi, Suze amorce ses études en génie en Haïti où elle complète une licence en génie civil. Puis, à sa diplomation, une opportunité inattendue se présente. « Quand j’ai obtenu mon diplôme, j’ai été travaillé pour l’Unité d’appui au programme de coopération canadienne (UAPC) de l’agence canadienne de développement international (ACDI) pour un stage de 3 mois qui a été étendu à un stage d’un an, puis à une carrière professionnelle de 11 ans. »

Fusionnée depuis 2013 à Affaires mondiales Canada, l’ACDI était responsable de la gestion des programmes d’aide du Canada dans les pays émergents, notamment en lien avec la pauvreté.

En 2004, l’attention était à la gestion de sortie de crise sociale et politique. « On avait un paragraphe seulement sur les tremblements de terre » me dit Suze, tandis qu’elle portait un intérêt de plus en plus marqué pour la résilience des communautés par rapport aux désastres naturels.

Rester

Suze s’intéresse de plus près à la sismicité. Cet intérêt l’amène à s’inscrire à l’École de technologie supérieure (ÉTS) à la maîtrise en génie (M. Ing.).

Elle arrive donc au Canada en 2006 et amorce sa maîtrise à l’ÉTS. Elle fait sa recherche sous la supervision de Marie-José Nollet, professeur à l’ÉTS depuis 1995 et aujourd’hui doyenne des études de cette même université. « J’ai fait ma soutenance de maîtrise quelques jours après le tremblement de terre qui a frappé en Haïti en 2010. Madame Nollet m’a alors dit que je ne pouvais retourner en Haïti, que ça n’avait pas de sens et que je devais faire mon doctorat. »

Le hasard s’impose encore, tristement cette fois. Suze choisit de rester au Canada et de poursuivre ses études aux cycles supérieurs. Elle entame tout de suite son doctorat, une aventure qui n’est pas de tout repos. « Les études doctorales sont très exigeantes, mais j’ai vraiment eu le support de ma famille pour continuer au doctorat. »

Pendant cinq ans, Suze ne se concentrera que sur ses études doctorales, sa thèse et l’enseignement. « J’ai enseigné un cours par session, pendant une année, mais ma directrice m’a suggéré de me concentrer sur ma recherche, car c’est facile de s’éparpiller et de rallonger considérablement ses études si on ne s’y met pas à 100%. »

Que fit-elle au premier jour où cela fût terminé? « Je voulais lire un roman! Ça faisait des années que je n’avais pas lu de la littérature. Là, j’ai une amie qui a fondé un club de lecture. Ça m’oblige à lire. J’aime ça. »

Elle a également repris l’enseignement, elle qui est maintenant chargée de cours à l’ÉTS.

Du PhD à la télé

Or, Suze ne fait pas qu’enseigner, elle passe aussi à la télé. « C’est encore un hasard » me dit-elle. Décidément!... « Savoir média voulait renouveler leur auditoire, et donc, plutôt que d’avoir des animateurs professionnels, ils ont décidé d’avoir des professionnels comme animateurs. (…) Savoir média a contacté le service des communications de l’ÉTS. Ce sont ces derniers qui m’ont appelé pour me proposer d’animer une émission de télévision. »

Depuis août 2018, Suze anime donc l’émission Génie d’ici qui présente des projets avant-gardistes d’ingénierie réalisés au Québec. « La saison 2 est sortie récemment et elle s’appelle Du génie pour la planète. Elle aborde davantage la question environnementale. »

5 épisodes sont déjà en ondes, et 5 autres devraient être tournés dès que les contraintes imposées en raison de la présente pandémie seront levées.

Suze nage dans la communication publique comme un poisson dans l’eau. Ce qui la touche particulièrement, c’est l’exemple qu’elle peut donner vis-à-vis des plus jeunes, filles et garçons. « Des étudiants étrangers me parlent. Ils me disent : on peut réussir! »

Aujourd’hui, on la sollicite à la radio, dans des balados, dans des conférences, etc. Génie d’ici ne pourrait donc qu’être le début d’une ascension pour Suze dans les médias québécois.

Cette notoriété lui permet finalement, en plus d’être un exemple pour les plus jeunes, de contribuer davantage à des causes qui lui tiennent à cœur. Elle siège notamment au CA du Bureau de la communauté haïtienne à Montréal, une OBNL qui qui intervient auprès des familles vulnérables en favorisant leur réussite sociale. Elle est aussi bénévole au sein du Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN). Au cours des dernières années, ce groupe a non seulement développé une structure d’enseignement à distance au niveau maîtrise et doctorat pour les Haïtiens, mais également obtenu un financement de l’UNESCO pour faire de la recherche sur les femmes en STIM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) en Haïti.

En définitive, si le hasard a bien fait les choses pour Suze, elle s’affaire à utiliser sa chance pour aider les autres. Cet engagement est tout à son honneur.

 

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