À échelle humaine : le parcours de Lili-Anna Pereša

Depuis que je collabore au blogue de Genium360, j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec plusieurs diplômé(e)s en génie : des entrepreneurs comme Myrielle Robitaille, Ugo Landry-Tolszczuk, Marc-André Forget et Guillaume Parent; des personnes œuvrant dans la sphère académique comme François Bouffard et Pierre Dumouchel et Suze Youance; ou encore des jeunes professionnels comme Perline de VoyerLaure Cerisy, Djecika Mensah et Martin Goudreault.

Issus de milieux divers et ayant fait des choix différents, tous partagent la même approche de résolution de problèmes et incarnent cette diversité des parcours possibles.

C’est que bien que les talents et les outils puissent se ressembler, la façon de s’en servir peut faire toute la différence. C’est le visage humain du génie qui, dès lors qu’on assume pleinement sa dimension métaphysique, peut littéralement transformer notre carrière.

Assumer sa mission, c’est d’ailleurs le choix qu’a fait Lili-Anna Pereša, ingénieure et présidente directrice générale du Centraide du Grand Montréal, dont l’intérêt pour le génie a toujours été alimenté par l’engagement social qu’il permettait. Entretien.

« Électrifier le monde »

Lili-Anna Pereša est née au Québec d’une mère québécoise et d’un père d'origine croate. C’est à 11 ans qu’elle ira visiter pour la première fois le pays où son père a des racines. La réalité fut alors brutale.

« Les gens là-bas n’avaient pas d’eau courante, pas de téléphone et de l’électricité de façon intermittente. Ce que je considérais comme un service de base n’était pas une réalité partout. »

Elle fait le choix du génie comme domaine pour poursuivre ses études supérieures. « Mon rêve était d’aller électrifier le monde. Je me disais : pourquoi y a-t-il des personnes ailleurs qui n’ont pas accès aux mêmes choses que nous avons ici? (…) C’est une question d’iniquité sociale. »

Ainsi, elle obtient son baccalauréat en génie électrique de l’École Polytechnique en décembre 1987, année très difficile sur le plan économique où le Canada est alors en récession. « J’ai des amis qui ont attendu 1 an, même 2 ans avant d’obtenir leur premier emploi. (…) Pour ma part, je n’avais pas les meilleures notes, mais j’avais un engagement social qui a attiré l’attention de Bell Canada qui a été mon premier employeur dès le mois de janvier 1988 et où j’ai amorcé ma carrière sans trop me poser de questions. »

Or, la tuerie de l’École Polytechnique qui survient le 6 décembre 1989 bouleverse Lili-Anna et l’amène à se remémorer ses années d’études ainsi que ses motivations initiales. « C’est cet événement-là qui m’a décidée à faire de l’aide internationale. »

Technologie et contexte social

Retour aux sources donc pour Lili-Anna qui ne perd pas de temps à multiplier les projets de nature communautaire. « Je suis allée enseigner la physique, les mathématiques, la chimie et le français comme troisième langue au Malawi. J’ai fait ça pendant un an. Pour ce faire, j’avais pris un an de congé sans solde chez Bell. (…) À mon retour, j’ai démissionné et suis retournée en Afrique [pendant deux ans] travailler au Burkina Faso dans un organisme local sans but lucratif qui fait des évacuations sanitaires [en lien avec le transport médical]. Mon rôle était plus un rôle en gestion. (...) Ils avaient fabriqué une mobylette-ambulance pour déplacer les femmes enceintes, notamment, vers des centres où elles pouvaient accoucher en contexte sécuritaire. »

Cet exemple d’utilisation d’une low tech pour sauver des vies conscientise alors Lili-Anna qui comprend qu’on n’a pas toujours besoin d’une solution hypertechnologique pour faire une différence dans la vie des gens.

« Quelle technologie est le mieux adaptée au contexte local? Lorsque j’ai travaillé chez One Drop, beaucoup de technologies d’accès à l’eau potable étaient des low tech. Ce n’est pas tout de proposer des technologies. Il faut penser au contexte social et culturel dans lequel elles s’inscrivent. »

Des ONG à Centraide

Le parcours professionnel de Lili-Anna se poursuit et est marqué par une diversité d’expériences dans le domaine des organisations non gouvernementales (ONG) : aide humanitaire en période de guerre en ex-Yougoslavie, projet de microcrédit auprès de femmes africaines, direction générale pendant 5 ans des Petits Frères et direction générale du YWCA Montréal.

En 2004, elle suit son conjoint à Paris et prend la direction d'Amnesty International en France pendant 2 ans. Elle en profite pour réaliser une maîtrise en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « J’ai voulu étudier les questions d’actions humanitaires et de développement international. (…) Comme praticienne, ma maîtrise est venue ajouter une couche de théorie à la pratique professionnelle que j’avais déjà depuis plusieurs années. »

Lili-Anna ne renie pas pour autant ses racines. « Je pense comme une ingénieure, j’agis comme une ingénieure. C’est certain que là d’où je viens influence encore aujourd’hui ma façon de voir les choses et d’aborder les enjeux auxquels nous sommes confrontés. »

De retour au Québec en 2009, elle devient directrice générale de One Drop, une fondation créée par Guy Laliberté, et qui par l’utilisation de l’art social comme outil de sensibilisation et d’éducation vise « … à assurer aux communautés les plus vulnérables un accès durable à une eau potable et à des services d’assainissement adéquats… ».

Puis, en décembre 2012, Lili-Anna se joint finalement à Centraide du Grand Montréal, à titre de présidente et directrice générale, un choix qui allait de soi selon elle. « Montréal est un endroit hors du commun et je me sens redevable à cette ville. (…) Montréal a accueilli mon père comme réfugié politique. (…) Cette ville nous a beaucoup donnés. J’ai donc choisi de m’investir auprès de la meilleure organisation qui soit pour redonner à la société, en particulier à Montréal. J’ai choisi Centraide. »

Centraide et la communauté du génie

Lili-Anna rejoint donc ces femmes ingénieures qui sont ou ont été à la tête d’organismes communautaires, par exemple Caroline Sauriol des Petits frères ou Cécile Arbaud qui dirige Dans la rue, un organisme fondé par le père Emmett Johns « Pops » .

Pour Lili-Anna, il n’est pas étonnant de voir des ingénieur(e)s diriger de telles organisations, interconnexion avec la sphère privée oblige.

« Depuis que je suis là, la relation qu’entretient Centraide avec la communauté des ingénieurs a beaucoup évolué. Je suis arrivée en poste en pleine Commission Charbonneau. La profession a dû retrouver l’essence de ce que voulait dire être un ingénieur. (…) Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. (…) Qu’ils soient professeurs, ingénieurs-conseils, dans le secteur aéronautique ou manufacturier, les ingénieurs veulent s’impliquer. Un bon exemple est l’engagement de la communauté tech. »

Cette dernière, dont plusieurs diplômés en génie font partie, aide Centraide à mieux comprendre les besoins des clientèles qu’elle dessert, notamment par la manipulation des données récoltées via différents canaux, par exemple le 211 Grand Montréal, un service d’information facilement accessible par téléphone (en composant le 211) ou sur internet.

Plus de détails sont à venir, mais Centraide travaille présentement à mettre en place une plateforme numérique pour recueillir, rassembler et traiter l’information pertinente à la meilleure conduite des opérations de l’organisation.

Nous attendons avec impatience les annonces concernant cette initiative technologique au service de la communauté montréalaise. Espérons que des appels à la mobilisation continueront d'être lancés afin qu’un maximum de personnes s’implique.

 

Crédits photos : Photographe Olivier Haniga

 

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