Entre foi et raison : le parcours de Perline de Voyer

Foi et science sont souvent mises en opposition.

Dans le Québec contemporain qui hésite de moins en moins à exprimer son républicanisme à la française, il devient tabou, à tout le moins difficile, de discourir sur la foi sans que la discussion ne vire rapidement au débat politique entre républicains prolaïcité, d’une part, et multiculturalistes canadiens, d’autre part. Parfois il semble n’exister que ces deux points de vue légitimes sur cette question complexe. Comme s’il fallait choisir entre l’un des deux au risque de voir sa parole réduite à néant, inaudible sous les bruits des boulets de canon que se tirent les deux camps l’un sur l’autre.

Or, la libre pensée a encore ses droits. La parole libérée, au-delà des conventions et des polarisations actuelles.

Si les chemins de nos succès ne sont pas linéaires, ceux de nos réflexions métaphysiques non plus. Là où certains ne voient que des incohérences, gisent parfois des liens plus forts que nos sensibilités ne le perçoivent.

Entretien avec Perline de Voyer, CPI, chargée de projet à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys qui nous partage son parcours entre science et foi.

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Perline a un parcours singulier, c’est le moins qu’on puisse dire. Issue d’un milieu modeste, elle a su surmonté plusieurs épreuves pour grimper l’échelle sociale. Néanmoins, malgré une précarité matérielle, elle se remémore une jeunesse heureuse où elle a pu s’épanouir.

« On faisait beaucoup de bénévolat avec ma mère : cuisines collectives, campagnes de levée de fonds pour la sclérose en plaques, etc. Ma mère faisait ça en partie pour garder un tissu social, mais aussi pour rendre service. Ça rendait l’utile à l’agréable, car on ne faisait pas vraiment d’activités payantes comme aller au cinéma ou au restaurant. »

À l’école, elle est une enfant douée et cela est remarqué par le corps professoral. On l’encourage à se dépasser. « J’ai un professeur au primaire qui voyait que je m’ennuyais, car j’apprenais plus rapidement que les autres. Alors, il me donnait des exercices plus difficiles à faire, notamment en mathématiques. C’est lui qui a parlé du programme international à mes parents. »

Par la suite, ses parents l’inscrivent aux examens d’admission qu’elle réussit haut la main.

Une fois au sein du programme, elle ressent une étrange familiarité avec l’éducation de ses parents, puisqu’au cœur du programme international se situe l’engagement social et communautaire. Plusieurs heures de bénévolat par année sont exigées pour satisfaire aux exigences du programme. « C’était une manière de nous faire comprendre que nous faisons partie d’une communauté et que nous devions en prendre soin si nous en étions capable. Un jour, nous pourrions aussi en avoir besoin. »

Les raisons de l’action

Douée en mathématiques et en sciences, Perline choisit l’ingénierie comme domaine de prédilection pour ses études postsecondaires. « J’ai choisi le domaine de la construction, car cela rencontrait ma volonté d’avoir des connaissances qui pourraient être utiles partout dans le monde. Quelque chose d’universel qui rendrait le monde meilleur et avec des réalisations qui me survivraient. Dans la construction, on améliore notre environnement et on crée des milieux de vie que les gens habiteront, alors on fait un peu partie de leurs histoires. »

Pour Perline, c’est en se mettant au service des autres que l’on s’accomplit le plus comme être humain. Au-delà du statut professionnel, l’ingénieur(e) a donc une responsabilité morale et la capacité d’être un vecteur de changement.

Après son secondaire, elle amorce son DEC technique en génie civil et prévoit déjà poursuivre ses études à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Or, en 2008, alors qu’elle n’a encore que 17 ans, Perline tombe enceinte de manière inattendue et décide de garder l’enfant sachant qu’elle devrait l’élever seule.

Elle termine son DEC technique en 2011 et commence à travailler comme technicienne pour subvenir à sa jeune famille. Cependant, elle n’avait jamais oublié son rêve de devenir ingénieure. Dès 2013, alors que la Commission Charbonneau ralentit considérablement la croissance économique du secteur de l’ingénierie, elle décide de s’inscrire à l’ÉTS au baccalauréat en génie de la construction, qu’elle complète en 2017.

Résilience

Au cœur du parcours de Perline, une constante se dégage : une résilience guidée par une foi et une volonté de donner; de contribuer à la société à la hauteur de son potentiel.

« Il y a plus de joie à donner qu’à se plaindre. (…) Le mot « impossible », ça fait un moment que j’ai décidé de le mettre aux poubelles! Là, c’est la pandémie, et on est tous là à utiliser l’internet, le wi-fi, les visioconférences, etc. Il a bien fallu que quelqu’un croie que ce soit possible pour que nous puissions aujourd’hui en profiter! (…) Ce qui est impossible pour nous aujourd’hui ne l’est peut-être pas demain. Ce n’est pas avec des impossibles que l’on crée de nouvelles choses et que l’on innove. C’est bien plus pertinent de penser à ce qu’on peut faire maintenant, plutôt qu’à nous imposer nous-mêmes des limites. »

À celles et ceux qui sont tenté(e)s par le découragement, Perline a un message clair : « Il faut avoir confiance en ses capacités et persévérer malgré les épreuves. J’aurais pu décider de me définir comme une victime; une jeune mère monoparentale qui a grandie dans une famille modeste, etc., mais j’ai choisi de ne pas me laisser définir que par les circonstances et de choisir ce que je voulais devenir. »

Il est vrai que malgré qu’elles puissent parfois durer longtemps, les épreuves sont généralement passagères. Ainsi, elles ont le souffle moins long que notre avenir. Or, pour y croire, toujours faut-il garder espoir.

Comment donner sens à des douleurs aujourd’hui dans l’expectative d’un avenir soi-disant plus radieux? Pas facile, surtout lorsque notre profession nous a appris à être cartésiens et rationnel jusqu’à l’os!

C’est là qu’entre en scène une réflexion particulière : celle de la relation entre la foi et la raison; entre la foi et la science.

Foi et science

Perline est l’une des seules personnes que j’ai connues à l’ÉTS, à l’instar de mes ami(e)s musulmans et moi-même, à avoir reçu une éducation religieuse – chrétienne, dans nos cas. Il a toujours été aisé de discuter avec elle, autant de questions techniques, que scientifiques et métaphysique. Elle avait une pensée sur la foi et la science qui est, encore à ce jour, éclairante.

En ingénierie, un monde fondé sur la raison et les sciences « dures », il n’est pas évident de s’ouvrir sur ce type de réflexion perçue comme saugrenue ou du moins surprenante.

« La science explique le monde, la foi lui donne un sens. La science est merveilleuse, mais elle ne va pas donner un sens aux choses et je crois que notre génération est en recherche de sens. » nous dit Perline.

C’est que la science ne peut non plus évoluer sans une volonté de la faire évoluer. C’est là où la foi alimente la science plutôt que de s’y opposer.

« Je ne sais pas quand on a décidé de séparer le spirituel et la science, mais c’est une erreur. Il y a tellement de personnes à tendance anxieuse ou dépressive en Occident aujourd’hui et je crois que c’est dû en grande partie au fait qu’on oblitère la dimension spirituelle de nos vies. Les êtres humains ont besoin d’une raison d’être, d’un but dans la vie. Or, les réponses à ces questions ne pourront jamais nous être fournies par la science. »

Contre toute attente et contrairement à ce qu’il est convenu de faire, Perline fait le choix de croire; d’avoir la foi. « Je crois que c’est un choix qui nous rend plus heureux, car ça a un effet sur notre psyché, notre corps et notre comportement envers nous-mêmes et les autres. La foi se vit aussi. » L’expérience, n’est-ce pas d’ailleurs ce que la foi et la science ont en commun?

 

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