Entrevue avec Pierre Dumouchel : pour une modernisation des programmes en génie

Dans un précédent billet, j’interrogeais François Bouffard, professeur agrégé à l’université McGill, qui me mentionnait que les programmes en ingénierie étaient en pleine transformation dû aux nouvelles réalités du marché du travail.

Je me suis récemment entretenu avec Pierre Dumouchel, cadre-conseil et ex-directeur général (2014-2019) de l’École de technologie supérieure (ÉTS) à Montréal, afin de mieux comprendre comment les universités répondent aux changements sociétaux qui surviennent à l’heure actuelle.

L’ÉTS, une université en transformation

En février 2014, Pierre Dumouchel – qui avait passé la totalité de sa carrière dans le milieu universitaire, notamment en recherche sur l'intelligence artificielle et plus spécifiquement en reconnaissance de la voix – devenait directeur général de l’ÉTS, poste qu’il occupera pendant 5 années.

« Lorsque j’ai postulé [pour le poste de directeur général], nous venions de sortir de la crise étudiante. C’était une époque où il y avait beaucoup d’incertitude dans le milieu universitaire. »

Mais alors, pourquoi troquer la tranquillité relative des laboratoires de recherche pour devenir le plus haut gestionnaire d’une université? Cela implique de gérer non seulement les attentes du gouvernement et des professeurs, mais également des étudiants actuels et futurs, ce qui peut parfois mener à des querelles dont on se retrouve arbitre, sans que les solutions soient évidentes.

« Il faut vouloir changer quelque chose. Sinon, n’importe qui serait malheureux avec un emploi pareil. Imaginez-vous donc que j’ai accepté une réduction de salaire pour ça! »

Animé par le désir de changer les choses, Pierre Dumouchel pouvait néanmoins compter sur un contexte de croissance appréciable pour l’ÉTS, elle qui en 2018 avait vu son nombre d’étudiants croître de 62% en huit ans.

Des fondations solides

Ce succès s’explique entre autres par le fait que le programme de baccalauréat de l’ÉTS inclut au minimum 3 stages industriels, selon monsieur Dumouchel. Ceux-ci permettent notamment aux étudiants de confirmer qu’ils sont à leur place dans le domaine du génie. « Ce n’est pas facile de faire un choix de carrière à 18 ans » souligne-t-il.

Il semble effectivement que cette formule sourit à l’ÉTS qui compte la deuxième plus grande cohorte d’étudiants en génie au Canada. C’est l’université Waterloo en Ontario qui se situe au premier rang; une autre université ayant un programme de stages coopératifs.

Monsieur Dumouchel croit également que les facultés de génie doivent continuer de s’intéresser et entretenir des liens avec les milieux d’affaires et industriels. Elles doivent surtout être à l’écoute de leurs besoins et tenter d’y répondre le plus adéquatement possible : « Elles ont été créées pour ça! »

C’est d’ailleurs dans cette perspective que Pierre Dumouchel a entrepris plusieurs changements au sein de l’École.

Demeurer pertinent

D’abord, il changea la vocation du Centech. Il procéda non seulement à des changements en termes de modes de fonctionnement, mais également au déménagement des installations de l’accélérateur d’entreprises dans l’ancien planétarium. « On recevait le message qu’au Québec on n’était pas assez entrepreneur. Alors, il fallait changer ça. » C’est une amélioration qui est la bienvenue, puisque le potentiel des ingénieurs en entrepreneuriat est énorme (voir des exemples ici, ici et ici).

Ensuite, il insista pour que les programmes académiques se modernisent; qu’ils se mettent à jour, malgré la difficulté d’opérer des changements rapides. « Le plus grand risque que coure une faculté de génie, c’est la perte de pertinence de ses programmes » m’explique monsieur Dumouchel. Il a bien raison, car ce sont les étudiants – qui votent avec leurs pieds – qui ont le gros bout du bâton, car au Québec les universités sont financées par i) les subventions de fonctionnement (70%); ii) les droits de scolarité (20-25%); et iii) les entreprises auxiliaires et la philanthropie (5-10%). Or, alors que le gouvernement contrôle les montants des subventions de fonctionnement ainsi que les droits de scolarité exigibles, cela laisse peu de place aux universités pour aller chercher des revenus additionnels. Ainsi, l’un des seuls paramètres que peut influencer une université pour augmenter son financement est le nombre d’étudiant(e)s inscrit(e)s.

Cependant, faire évoluer les programmes académiques sont toujours de fines opérations. « Ce sont les départements et en définitive les professeurs qui décident des programmes et de son contenu. Vous imaginez qu’il peut être délicat, entre professeurs, de critiquer le contenu du cours de l’un et de l’autre. N’empêche, je voyais qu’il fallait être plus dynamique. » Question de pertinence, on y revient.

Finalement, monsieur Dumouchel procéda également à une planification du développement immobilier de l’ÉTS. « J’ai pris plusieurs décisions qui concernent le développement du campus. Avant, il n’y avait pas de plan stratégique. Là, on sait ce qu’on va faire pour plusieurs années à venir. » Un nouveau pavillon devrait d’ailleurs voir le jour prochainement et l’ancienne brasserie Dow devrait également devenir un pavillon de l’université au cours des prochaines années.

Et la suite?

Mais tous ces changements sont-ils suffisants pour maintenir la pertinence de l’ÉTS dans l’avenir? Il faut poursuivre d’autres projets, souligne monsieur Dumouchel. « Si l’ÉTS veut se tailler une place parmi les meilleures universités en génie au monde, ça commence par l’embauche d’excellents professeurs, et par les chaires de recherche. Également, si c’était possible de briser des silos entre départements, ça serait une bonne affaire pour créer plus de cohésion entre étudiants et professeurs. » Le nouveau directeur général de l’ÉTS, monsieur François Gagnon, a donc une lourde tâche devant lui; celle de poursuivre la croissance d’une faculté de génie à la formule gagnante, mais qui doit toujours renouveler sa pertinence dans un monde où les transformations technologiques sont toujours présentes.

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