Le chemin de la transition (énergétique)

Nous savons tous, d’instinct, que nos sociétés doivent se diriger vers un avenir plus durable. La conscience environnementale est d’ailleurs probablement l’un des plus grands vecteurs de changements de notre époque. Cependant, avons-nous vraiment une idée claire des étapes à suivre pour parvenir à nos objectifs environnementaux, climatiques et énergétiques?

La question est complexe, car elle renferme des enjeux commerciaux, sociaux et politiques dont la résolution pratique n’est jamais jouée d’avance. Cela est d’autant plus vrai si l'on cherche à porter un regard à très long terme.

Dans ce contexte, proposer une vision futuriste revient quasiment à marcher sur un terrain miné. Quiconque se risquerait à essayer de résoudre le problème du mix énergétique du futur se trompera forcément d’une manière ou d’une autre. Il n’en faudra pas plus aux sceptiques pour tenter de disqualifier le pauvre courageux qui se serait risqué à un pronostic honnête, bien qu’imparfait.

Ce constat ne décourage pas pour autant Gabriel Durany, président et directeur général de l’Association québécoise de la production d'énergie renouvelable (AQPER). Depuis déjà quelques mois, il se fait le porte-parole infatigable d’une publication d’importance de l’AQPER : la feuille de route 2030 pour réussir la transition énergétique et économique. « Avec la feuille de route, on fait des recommandations pour les deux ou trois prochaines années et on croit qu’il faut se rasseoir chaque deux-trois ans pour voir où en sont les besoins et se réajuster. Nous n’avons pas la prétention de savoir tout ce qui doit être fait jusqu’en 2030, mais notre feuille de route est suffisamment complète et pragmatique pour nous permettre d’avancer. »

Feuille de route

En bref, afin d’opérer une transition énergétique efficace, l’AQPER promeut l’efficacité énergétique, le marché du carbone ainsi que la hausse de la production de l’énergie renouvelable. Gabriel Durany insiste d’ailleurs sur l’aspect complémentaire de ces trois solutions phares. « Il n’y aura pas de solution unique. L’efficacité énergétique est essentielle, mais non suffisante. De la même façon, la tarification du carbone est essentielle, mais non suffisante. Il faut tenir compte de la substitution pour être en mesure de déployer une stratégie de transition énergétique qui fonctionne. »

Des tendances comme l’électrification des transports, l’augmentation des exportations d’électricité vers les États-Unis et la valorisation des déchets doivent également être considérées afin de bien comprendre le contexte énergétique qui sera celui du Québec des prochaines décennies. Plusieurs technologies devront être mises à contribution afin de répondre à une demande croissante d’énergie renouvelable. C’est ce pour quoi la feuille de route 2030 de l’AQPER s’intéresse non seulement à l’électricité renouvelable de source éolienne, hydraulique et solaire, mais également aux bioénergies comme le gaz naturel renouvelable, la biomasse et les biocarburants.

Du côté de l’électricité renouvelable, l’AQPER prévoit une augmentation significative de sa production au Québec. Alors qu’elle s’élevait à 206 TWh en 2015, il est prévu qu’elle atteigne 259.5 TWh en 2030, puis 391 TWh en 2050, soit une augmentation de presque 90% en 35 années seulement. Le défi que cela représente n’en est donc pas un strictement d’ordre de grandeur, mais également de temps de réalisation.  Ces caractéristiques d’amplitude et de délais sont également observables du côté des bioénergies. Alors que leur production atteignait 121 PJ en 2015, elle pourrait atteindre 244 PJ en 2030 et 419 PJ en 2050.

Bref, si ces prévisions se réalisent, nombre de chantiers devront être mis en branle avant longtemps dans toutes les régions du Québec. « C’est un défi énorme. On doit changer le paysage énergétique du Québec en moins de temps qu’il en a fallu pour obtenir celui que nous connaissons aujourd’hui. Considérant cet enjeu en termes de temps, la feuille de route présente d’ailleurs très clairement les chemins avec le moins de résistance pour que chaque filière énergétique se déploie de façon rapide au Québec. »

Gabriel Durany, président et directeur général de l’Association québécoise de la production d'énergie renouvelable (AQPER)

Action gouvernementale

Dans sa feuille de route, l’AQPER y va de nombreuses propositions devant faciliter l’essor des énergies renouvelables au Québec. Cela ne fait aucun doute que, pour elle, le gouvernement devra jouer un rôle central de coordonnateur. Celui-ci se devra d’harmoniser les programmes et la réglementation, d’assurer la prévisibilité en matière d’approvisionnement et de mobiliser l’ensemble des parties prenantes de la production d'énergie renouvelable, incluant ceux du secteur privé dont la contribution sera essentielle pour faire de la transition énergétique québécoise une réussite.

D’ici 2030, ce sont 29,5 TWh de capacités de production qui devront être ajoutées au réseau électrique. L’AQPER est d’avis que, de ce nombre, 9,5 à 14,5 TWh pourraient être développés par des producteurs indépendants. 1 à 2 TWh pourraient être produits à partir d’énergie solaire, 7,5 à 11 TWh d’énergie éolienne et finalement 1 à 1,5 TWh de la petite hydro. Considérant la nature du modèle québécois en matière électrique, l’AQPER propose essentiellement de lancer des appels d’offres publics d’approvisionnement de ces trois sources d’énergie. Elle propose carrément de lancer des appels d’offres publics pour l’éolien et la petite hydro dès 2021. L’appel d’offres pour l’énergie solaire suivrait début 2022.

Du côté des bioénergies, le manque à gagner pour atteindre l’objectif fixé en 2030 est de 96 PJ dont 19,5 PJ viendraient du gaz naturel renouvelable, 17 PJ de la biomasse et 59,9 PJ des biocarburants. Puisque les sources d’énergie sont plus variées au sein de cette catégorie énergétique, les mesures proposées varient donc davantage que pour la production d’électricité. Les délais d’adoption de ces différentes propositions n’en sont pas moins ambitieux : toutes devraient être adoptées en 2021 ou 2022, selon l’AQPER.

D’abord, concernant le gaz naturel renouvelable, la feuille de route propose de lancer un programme pour les projets agricoles dès l’automne 2021 ainsi qu’une nouvelle cible en matière de teneur minimale pour 2030 (la teneur minimale prévue par la loi est présentement de 5% en 2025).

Ensuite, pour la biomasse, elle suggère une révision complète du régime forestier afin d’harmoniser la réglementation ainsi que d’établir des priorités régionales en fonction du potentiel de développement d’une économie circulaire liant économie forestière et production agricole (séchage du grain, chauffage de serres, etc.). À noter que de nombreuses régions au Québec compte ces deux industries sur leur territoire, rendant ainsi possible un tel arrimage. De plus, de nombreuses régions forestières ont un accès restreint au réseau de gaz naturel et le chauffage à la biomasse offrira une option viable de chaleur verte en support aux efforts d’électrification.

Finalement, elle soumet l’idée d’établir une teneur minimale en biocarburants de 15% dans l’essence et de 10% dans le diesel d’ici 2030. À cette mesure phare, d’autres pourraient s’ajouter : l’exemplarité de l’État dans l’utilisation des biocarburants par ses flottes, d’une part, mais également le prolongement des crédits d’impôt pour la production de biocarburants jusqu’en 2033 (ceux-ci doivent normalement prendre fin en 2023), d’autre part.

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Ce sont donc de nombreux chantiers qui attendent fort probablement l’industrie québécoise des énergies renouvelables. Les professionnels du génie doivent se préparer à une vague de changements, certes, mais surtout d’opportunités.

 
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