Aluminium biocide : une innovation québécoise qui devient virale contre la COVID-19
Partie d’un projet de fin d’études au Cégep de Chicoutimi il y a dix ans, cette innovation a fait beaucoup de chemin ces dernières années pour aboutir là où elle est aujourd’hui. Pensée à l’origine pour une utilisation en milieu hospitalier contre la propagation de maladies nosocomiales, ses applications se sont depuis multipliées et elle suscite maintenant l’intérêt de plusieurs grands joueurs internationaux de tous horizons.
Derrière cette innovation se trouve A3 Surfaces (A3S), lancée il y a cinq ans par Maxime Dumont, Jocelyn et Martin Lambert, qui développe le premier aluminium biocide grand public au monde. Bien qu’étant trois au départ, leur compagnie est rapidement devenue une véritable auberge espagnole d’expertises dans des domaines tels que le génie chimique, la biochimie moléculaire, l’électrochimie, la physique et le médical.
Je me suis entretenue avec Jean-Luc Bernier, M.Sc.A. génie chimique, vice-président technologie chez A3S afin de comprendre le travail sous-jacent à cette innovation. Mordu d’aluminium et œuvrant dans le milieu depuis 40 ans, ce dernier s’est joint à l’équipe en tant que directeur scientifique il y a cinq ans.
Jean-Luc Bernier, M. Sc Appl. Génie chimique, vice-président technologie A3S
Antibactérien, biocide, antibiotique?
Tout d’abord, ce qui différencie les surfaces A3S des autres matériaux antibactériens sont ses propriétés biocides. Elle ne fait pas qu’empêcher la prolifération ; elle détruit 99,9% de tous les microbes, bactéries et virus, théoriquement[i], se déposant sur elle et ce en quelques secondes à quelques minutes versus quelques heures pour son plus proche concurrent. Elle est donc bien plus qu’antibactérienne. De plus, leur surface s’auto-désinfecte, mais pas les mains, ce qui est une bonne chose. M. Bernier nous explique : « C’est justement ça la beauté! Parce que si ça stérilisait ma main ça ferait comme des antibiotiques. Qu’est-ce que font les antibiotiques? À force de les avoir dans notre corps, les bactéries s’y habituent et développent de la résistance. »
Dans les petits pots les meilleurs onguents
Mais comment une surface peut-elle faire tout ça? vous entend-je demander, par l’anodisation de l’aluminium! Pour se faire, ils utilisent un alliage d’aluminium des séries 3000, 5000 ou 6000. Ensuite, plutôt que d’injecter de jolies couleurs dans les nanopores en céramique ainsi créés, ils injectent des ammoniums quaternaires et du nitrate d’argent. Le processus inclut une électrolyse dans un bain d’acide sulfurique refroidit afin d’obtenir une anodisation dure qui crée une couche plus épaisse d’alumine, et par le fait même, de meilleurs réservoirs pour l’agent biocide. La pièce est ensuite scellée à la vapeur à haute température, pour faire réagir l’alumine de surface à un autre type d’alumine, la boehmite (Al2O3.H2O).
Chambre d'hôpital test à l'hôpital de Chicoutimi (crédits photo : A3 Surfaces).
Loi de Fick et forces de van der Waals
Pour s’assurer une bonne diffusion du produit, deux principes entrent en jeu : la loi de Fick et les forces de van der Waals. M. Bernier vulgarise la loi de Fick ainsi : « Chaque fois que vous avez une différence de concentration d’un produit, maman nature cherche à équilibrer tout ça donc elle va diffuser. Dans notre cas, lorsque le pore est à l’air libre, elle voit qu’il n’y a pas d’agent biocide au-dessus donc elle transfert le contenu vers l’extérieur pour équilibrer. » De l’autre côté, les forces de van der Waals cherchent à garder le produit à l’intérieur. L’équilibre créé par ces deux principes, ainsi que la possibilité de « recharger » la surface en la nettoyant avec le même produit que celui contenu dans les pores, lui donne une durée de vie théorique de 20 ans, voire plus, mais ça, seul le temps pourra le prouver.
Maintenant que l’on sait que le système de dispersion fonctionne, que peut-il vraiment tuer?
Leur technologie a été testée avec succès par plusieurs laboratoires universitaires sur plusieurs bactéries Gram négatives et positives. Les ammoniums quaternaires, sont aussi certifiés par le fournisseur comme étant efficaces contre les microchampignons, les levures, les microbes, les microalgues, l’influenza et même le VIH. Elle est aussi en processus accéléré pour être testé contre le virus Sars-CoV-2 à l’origine de la pandémie de COVID-19.
« C’est difficile pour nous d’avoir accès à des laboratoires de niveau 3 et 4 pour tester les souches les plus dangereuses, ils sont très occupés », nous dit M. Bernier. Les accès aux laboratoires et les longs processus de qualification sont les deux éléments qui ralentissent le plus la mise en marché. En fait, il n’existe qu’un seul laboratoire de niveau 4 au Canada situé à Winnipeg.
« Sky is the limit »
En conclusion, avec toutes les applications possibles à leur technologie, j’ai demandé à M. Bernier ce que la communauté de génie lisant ces lignes pouvait faire pour les aider : « À l’heure actuelle, ce qui nous fait le plus défaut, c’est l’accès à des laboratoires de certification locaux et à des biochimistes qui peuvent appliquer les protocoles de certification, mais du point de vue ingénierie, c’est de penser à toutes les applications possibles et il y en a beaucoup ! » Alors les génies, allez-vous relever le défi?
[i] Leur surface est toujours en processus de certification, processus ralenti par la pandémie de COVID-19.
Crédit photo de couverture : Les Films de La Baie Alexan Tremblay
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