Entrevue avec Dominique Gautier : quel sera l’impact de l’IA sur les emplois en génie?
Alors que les attentes envers l’Intelligence artificielle sont grandes, considérant tous les investissements importants en recherche et développement par les entreprises et les gouvernements, cette technologie n’a jamais suscité autant de questionnement quant à son impact sur l’emploi dans le futur et sur les transformations qu’elle entrainera au niveau des entreprises. Dominique Gautier, partenaire senior de la firme Roland Berger répond à nos questions sur la façon dont l’IA changera les métiers du génie.
1. En quoi l’IA constitue-t-elle une révolution pour l’industrie 4.0 ?
Le terme industrie 4.0 est né simultanément aux États-Unis et en Allemagne pour désigner la combinaison du manufacturier et des technologies de l'information (TI). Depuis les années 50, les industriels n'ont cessé d'utiliser les TI pour améliorer leur performance. Aujourd'hui, trois facteurs bouleversent les TI et rendent possible l'avènement de l'intelligence artificielle:
a) la profusion exponentielle des données qui permet l'apprentissage-machine (Machine Learning) et l'apprentissage-profond (Deep Learning)
b) la sophistication des algorithmes qui améliore les résultats et l'accroissement de la puissance de calcul à bas coûts des ordinateurs et des centres de données, et qui démultiplie les volumes traitables
2. Quels principaux défis devront surmonter les entreprises en vue de l’expansion des données et de l’évolution rapide de l’IA ?
Dans ce domaine, les entreprises vont devoir affronter 5 grands défis :
a) identifier les potentiels réels de l'IA dans leur secteur, les cas d'usage pertinents et les modèles économiques associés;
b) former leur personnel à ces innovations et s'appuyer sur des partenaires solides pour gagner en compétences;
c) entamer la revue et l'assainissement des données internes qui sont le carburant de l'IA et aspirer de la donnée externe pour enrichir le stock d'information;
d) réaliser des pilotes IA en mode agile;
e) assurer la conduite du changement en interne pour lever les obstacles à l'adoption de l'IA.
3. Selon vous, comment ces changements affecteront les métiers du génie demain?
Tous les métiers du génie sont influencés par l'IA et sont susceptibles d'être affectés le long de la chaîne de valeur : depuis les approvisionnements, jusqu'au contrôle qualité, en passant par la maintenance, le développement des produits, la R&D et bien sûr les opérations de production proprement dites. Les ingénieurs devront maîtriser de plus en plus les techniques d'analyse de données et aussi collaborer avec des robots. C'est déjà ce que l'on observe sur certaines chaînes de production mais aussi dans la construction avec l'usage de drones pour réaliser des métrages préalables aux chantiers. L'usage de la réalité virtuelle va se généraliser avec une utilisation permettant de comparer le plan et la réalisation. Enfin, 90% des contrôles qualité seront automatisés à l'avenir.
4. Quels seront les secteurs les plus touchés par l'IA ?
D'un point de vue sectoriel, l'automobile sera directement concernée par le véhicule autonome sous peu. Les industries qui gèrent des actifs demandant beaucoup d’entretiens vont poursuivre leurs efforts dans le domaine de l'IA appliquée à la maintenance pour baisser leurs coûts. Les constructeurs d'équipements industriels et de semi-conducteurs, qui sont déjà très automatisés et qui génèrent beaucoup de données utilisables, vont se servir de l'IA pour optimiser leurs modes de production.
5. Quels conseils donneriez-vous aux gestionnaires et professionnels en génie pour mieux s’adapter à l'IA ?
L'adaptation est un terme que les professionnels du génie connaissent parfaitement. Ils ont déjà intégré, dans de nombreux cas, la révolution du manufacturier intelligent (internet des objets, analyses prédictives, impression 3D, etc.). L'IA est à la fois dans la continuité de ces adaptations, mais constitue aussi une révolution parce qu'elle se substitue à l'humain sur le terrain de l'intelligence. L'IA est un défi éthique autant technologique et social qu'économique. Les dirigeants d'entreprise doivent s'y préparer dans la sérénité, mais avec beaucoup de sérieux car l'IA est déjà là.