« Génération Covid-19 » : les jeunes professionnels en génie face à la pandémie

Je n’ose imaginer la difficulté de se trouver un emploi en génie comme jeune diplômé par les temps qui courent. Déjà que cela n’a rien d’évident à la base. Vous avez de la volonté, un diplôme en poche, une bonne tête (si vous êtes chanceux!), mais aucune expérience professionnelle si ce n’est au mieux que quelques stages.

Vous me direz que les taux de placement en génie sont bons et que, malgré la pandémie, les choses ne doivent pas être si terribles que ça. Les angoisses de la jeunesse ne font jamais pleurer personne, car tout le monde se dit être passé par là et que, forcément, la génération montante passera au travers des épreuves qui l’accablent. On dirait qu’il n’y a que ceux qui ont vécu la traversée du désert pour comprendre et avoir pitié.

Dernièrement, je me remémorais les paroles de Lili-Anna Pereša, présidente-directrice générale du Centraide du Grand Montréal, que j’interviewais cet été et qui se rappelait l’impact de la récession de l’époque de sa diplomation (en 1987) sur la recherche d’emploi de plusieurs de ses collègues : « J’ai des amis qui ont attendu 1 an, même 2 ans avant d’obtenir leur premier emploi » me disait-elle.

Cela pourrait malheureusement se produire à nouveau aujourd’hui, forçant ainsi toute une génération à revoir ses plans, tant à l’échelle individuelle (son plan de carrière?) que collective (ex. inquiétudes concernant la dette publique).

La dure réalité

Si je prends la plume pour vous parler de cette jeunesse à laquelle j’appartiens de justesse – la « génération covid-19 » comprenant, semble-t-il, les jeunes de 15 à 30 ans –, c’est que je sais oh combien il peut être ardu de donner un sens à des souffrances que l’on ne comprend pas entièrement; qui nous échappent.

Lorsque j’ai terminé mon baccalauréat en 2015, je venais de vivre 2 années d’implication parascolaire qui avaient littéralement changé mes perspectives d’avenir. En bref, de 2013 à 2015, j’ai fondé et présidé le club Énergie-ÉTS, un regroupement d’étudiant(e)s de l’École de technologie supérieure (ÉTS) s’intéressant aux enjeux du secteur de l’énergie.

En 2 ans d’implication, en plus d’organiser une cinquantaine de conférences avec différents acteurs de l’industrie, j’ai également planifié et conduit une mission exploratoire en Alberta où 4 autres étudiants et moi-même avons pu visiter des sièges sociaux ainsi que des sites industriels d’entreprises du secteur énergétique, incluant évidemment les sables pétrolifères.

À la fin de mes études en génie, j’avais un carnet de contacts anormalement garni pour un jeune de mon âge. J’avais également publié plusieurs articles en lien avec l’actualité du secteur énergétique dans le journal étudiant. Je recevais beaucoup d’encouragements de professeurs, d’employés de l’École ainsi que de mes collègues étudiant(e)s qui me voyaient devenir tantôt gestionnaire de projets, tantôt expert en développement d’affaires dans le secteur de l’énergie, voire même politicien!

Personne ne se doutait – pas même moi – qu’il me faudrait 5 mois avant de décrocher… un premier contrat à durée déterminée. La dure réalité quoi!

Casse-tête de sens

Il faut dire qu’en plus du ralentissement que subissait le secteur énergétique à l’époque s’ajoutait le fait que je ne m’y étais pas pris d’avance pour amorcer mes recherches. Ajoutez à cela une totale confusion sur mes ambitions professionnelles et le tour était joué pour que cela prenne du temps avant que je retombe sur mes pattes.

À la question « où te vois-tu dans 10 ans? », je devais répondre à peu près n’importe quoi, à tout le moins rien de clair dans les esprits de celles et ceux à qui je répondais. L’implication parascolaire qui m’avait tant ouvert de portes m’avait aussi mis face à un casse-tête de sens que je n’avais pas complété au moment de chercher mon premier emploi.

En fermant les yeux, je peux revoir les visages de ces ingénieur(e)s expérimenté(e)s qui, en entrevue, m’écoutaient leur parler d’ingénierie, de développement d’affaires, de mon intérêt pour la rédaction d’articles, des conférences que j’avais organisées, de ma mission en Alberta, d’énergie électrique, d’une déclaration que le ministre de l’Énergie avait faite le matin même dans le journal, bref d’un tas de choses.

Je me mets à leur place et je me dis qu’ils ont dû se dire : « ouais, ce gars-là a beaucoup d’intérêts divergents, et on ne sait pas s’il sera heureux ici. Laissons passer. »

Défi culturel

Il m’aura fallu des années de réflexion et une maîtrise en sciences de la gestion de HEC Montréal pour mettre de l’ordre dans tout ça. Je me souviens d’ailleurs d’une séance du cours Approches interdisciplinaires dans l’étude des problèmes humains de la gestion (oui, le titre est long!) où nous abordions la science anthropologique. On y apprenait non seulement que les humains étaient porteurs de représentations culturelles collectives, mais également que ces représentations définissent les contours du « nous »; du groupe. À ce « nous » répond en écho le « eux »; les autres.

C’est à ce moment que j’ai compris mes problèmes dans mes recherches d’emploi passées. Comme mes intérêts étaient vastes et que mes ambitions ne semblaient pas cadrer tout à fait avec les représentations culturelles propres au monde du génie, du moins pas dans leurs sens traditionnels, mon appartenance au groupe « ingénieurs » était équivoque. Les employeurs qui me rencontraient devaient se demander : fait-il partie du « nous »?

Cette idée n’est pas sans rappeler les propos de l’ingénieur Jean-Christophe Voyer qui me confiait en août dernier : « Nous avons une profession où le « nous » est assez normatif, avec le risque de devenir étouffant. C’est quoi la place de l’individu là-dedans? »

Je ne suis certainement pas le seul qui ait dû relever ce défi proprement culturel.

La chance au coureur

Ce qui me ramène à ces jeunes qui se cherchent un emploi dans un contexte où leurs plans, leurs ambitions, leurs rêves sont chamboulés.

Aux employeurs qui liront ce texte et qui appelleront ces jeunes en entrevue : de grâce, ne vous attendez pas à entendre de leur part des réponses éclairées à vos questions sur leur avenir. Le concours de circonstances actuel fragilise les colonnes du temple de leurs certitudes comme probablement jamais auparavant.

Et malgré tous les questionnements que leurs réponses pourront vous inspirer, ils demeurent néanmoins la relève de notre profession : celle qui bâtira – littéralement – le Québec de demain.

Ils méritent qu’on leur donne au moins une chance.

 

Photo de couverture par cottonbro provenant de Pexels.

 

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