Bâtir sur la pratique du génie : entretien avec Jean-Christophe Voyer

Depuis un peu plus de deux ans maintenant, j’aiguise ma plume et tente, au meilleur de mes capacités, d’écrire des articles qui mettent en valeur les différentes carrières possibles dans le domaine du génie.

Vous aurez certainement remarqué que l’éventail de parcours possibles est très large, comprenant même des cheminements qui ratissent beaucoup plus large que la stricte pratique professionnelle en génie.

C’est que « le génie mène à tout » selon l’expression consacrée. Entretien avec Jean-Christophe Voyer, ingénieur et consultant en gestion de l’innovation.

Choisir le génie

Depuis sa jeunesse, Jean-Christophe est un passionné de photo. Au cégep, d’abord intéressé à travailler dans ce domaine, il choisit finalement le génie comme domaine pour développer sa carrière. « Après 2 ans de sciences pures, je me suis demandé si j’allais gagner ma vie avec la photo et j’en ai conclu que non. Donc, j’ai décidé de faire des visites dans des cégeps, notamment au Vieux-Montréal. Je me suis finalement inscrit en technique de génie mécanique pour ensuite poursuivre à l’École de technologie supérieure (ÉTS) au baccalauréat en génie mécanique. »

Le programme de l’ÉTS lui permet notamment de compléter une partie de sa formation à l’étranger, plus spécifiquement à Prague, une expérience qui figurait au sommet de ses priorités. « J’ai fait mes choix de cours en fonction d’aller passer un an à l’étranger. (…) Ça m’a donné une perspective différente. Dans un cheminement normal, on a une certaine façon d’apprendre des connaissances et à résoudre des problèmes. C’est là-bas que je me suis rendu compte que ma formation à l’ÉTS m’avait préparé à voir quelque chose de nouveau. Ça m’a fait réaliser qu’il y a plusieurs manières d’enseigner, d’apprendre. »

Jean-Christophe se pose alors des questions du genre : puis-je changer de perspective, même de retour chez moi? Comment faire? Comment changer mes habitudes, ou mes façons de faire qu’on m’a apprises?

Les voyages forment la jeunesse, aux dires de certains. Dans tous les cas, l’échange étudiant de Jean-Christophe l’a transformé. « Ça a été une expérience entière, globale. » Une expérience qui avait aussi lancé Jean-Christophe sur la voie d’une quête de connaissance qui dépassait largement le cadre du génie mécanique.

Travailler en génie… ça ouvre des portes!

C’est ce pourquoi, après ses études au baccalauréat qu’il termine en 2012, Jean-Christophe s’inscrit au DESS en gestion de l’innovation, toujours à l’ÉTS, un programme qui « … prépare les étudiants à la gestion de projets d’innovation, au démarrage d’entreprises technologiques et au lancement de nouveaux produits ou procédés, ainsi qu’au transfert technologique. »

« Le choix s’est fait assez facilement, me dit Jean-Christophe. J’avais compris que plus j’avais de cordes à mon arc, le mieux ce serait. Pourquoi je n’ai pas fait de maîtrise tout de suite? C’est que je trouvais difficile de choisir un sujet de recherche, en fait.  J’ai fait des cours à temps plein jusqu’en 2014 puis suis allé sur le marché du travail. »

Il amorce alors sa carrière dans le domaine de l’efficacité énergétique. Il complète son juniorat en 2016 et obtient le plein titre d’ingénieur. Après deux autres années sur le marché du travail et avec un projet en tête, il retourne à l’ÉTS pour compléter sa maîtrise en gestion de l’innovation qu’il termine finalement en 2017. C’est d’ailleurs suite à sa maîtrise qu’il se lance alors dans la consultation en gestion et fait différents mandats dans le secteur de l’énergie et de l’efficacité énergétique où il contribue à améliorer les processus d’affaire de ses clients.

Début 2020, voyant le succès grandissant qu’il obtient, il décide même de s’incorporer. « Je fais de l’accompagnement en gestion de l’innovation, c’est-à-dire que j’aide mes clients à définir leurs processus d’entreprise et à les améliorer, notamment en donnant une vision cohérente de l’entreprise qui parle à tout le monde au sein de l’organisation. Je fais aussi de l’accompagnement en transformation numérique. J’aide mes clients à améliorer leurs capacités d’utilisation d’outils numériques pour avoir une information accessible et de qualité. Je fais également de l’intelligence d’affaires. J’aime bien tout ce qui a trait aux données. Ça peut être des bases de données sur internet, des fils de nouvelles pertinentes pour les clients, etc. Finalement, je participe à des projets spéciaux qui intègrent du virtuel avec du physique. J’ai développé un boîtier pour faire du comptage de foule, par exemple. »

Héritage du génie

Bien qu’il ait quitté la pratique du génie à proprement parler, Jean-Christophe demeure néanmoins attaché à son identité d’ingénieur ainsi qu’à son approche processuelle et systémique, approche qu’il dit pouvoir utiliser même dans le domaine de la gestion. « C’est ça la magie du génie! Les concepts du génie se transposent aux fonctions de l’entreprise, car on peut les schématiser. »

Il ne ferme pas la porte non plus à un retour à la pratique traditionnelle, bien que pas à brève échéance. « J’ai gardé mon titre d’ingénieur. Je ne l’utilise pas dans ma pratique, mais je continue de payer ma contribution à l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. J’aurai peut-être besoin de mon titre un jour (…) Je n’envisage pas activement un retour à la pratique traditionnelle du génie. Là, j’ai appris à programmer et je vois beaucoup d’opportunités. »

Changement de culture

Le milieu de la programmation lui a d’ailleurs ouvert les yeux sur une culture différente de celle du génie traditionnel; une culture plus ouverte et qui laisse davantage d’espace aux personnalités et aux profils atypiques. Néanmoins, Jean-Christophe ne désespère pas du milieu traditionnel et croit que la génération montante peut, et va changer les choses. « Il y a un contexte pour du changement présentement. Il y a les considérations éthiques qui ont brassé la cage il n’y a pas si longtemps et il y a aussi tous les défis environnementaux auxquels le génie doit répondre. Il faut faire plus d’efficacité énergétique, il faut concevoir des produits qui utilisent moins de ressources, etc. (…) Il y a une masse critique de jeunes, autant dans le secteur public que privé, qui sortent de l’université chaque année et qui ont une vision différente de l’ingénierie. On est à un point tournant de notre profession. »

Or, pour que la profession soit au diapason de la jeunesse qui pousse, Jean-Christophe croit que nous devons nous poser des questions sur sa définition. « Nous avons une profession où le « nous » est assez normatif, avec le risque de devenir étouffant. C’est quoi la place de l’individu là-dedans? Je crois pour ma part qu’il faut maximiser le potentiel créatif des gens. Avec les enjeux auxquels nous faisons face, nous ne pouvons pas tous penser pareil. »

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Les ingénieurs sauront-ils lier leur sens de la tradition aux nécessités de modernisation de leur profession, notamment dans un contexte où les problèmes auxquels nous sommes confrontés rendent nécessaire la multidisciplinarité ainsi que la diversité des points de vue?

Espérons-le, puisqu’il s’agit d’une opportunité de redéfinir le génie québécois pour être en mesure d’y inclure des parcours à ce jour considérés comme atypiques, voire carrément hors du champ de la profession.

 

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