Être ingénieur dans le Nord-du-Québec
Selon le portrait économique des régions du Québec 2015 du Ministère de l'Économie, de l'innovation et des Exportations, les régions urbaines (Capitale-Nationale, Montréal, l'Outaouais et Laval) afficheraient un indice de développement économique plus élevé que les autres régions[1]. La demande de main-d'oeuvre étant surtout liée au développement économique, il n'est pas surprenant de constater que 64% des répondants à l'Enquête sur la rémunération des professionnels en génie 2016 affirmaient travailler dans les centres urbains du Québec.
Au regard de ces considérations, le RéseauIQ a voulu donner la parole à des ingénieurs qui ont choisi de travailler en région. Un ingénieur junior et un ingénieur sénior basés dans le Nord-du-Québec ont accepté de répondre à nos questions.
Yip Lam, ing. jr.
Coordonnateur des projets pour rénovations majeures,
Office municipal d'habitation Kativik
Diplôme :
ÉTS, génie de la construction, 2012
Années d'expérience :
2 ans et demi
Lieu de travail :
Kuujjuaq
Ville d'origine :
Montréal
Pourquoi avoir choisi de travailler en région?
Au moment où j'ai obtenu mon diplôme en génie à l'ÉTS, les travaux de la commission Charbonneau étaient à leurs débuts, c'était une période difficile pour se trouver un emploi en génie de la construction dans la région de Montréal. Je me suis tourné vers les possibilités en région parce que je voulais à tout prix travailler dans le domaine. À la suite d'un court séjour pour des travaux en construction en Haïti, j'ai pu apprécier le défi unique et enrichissant du travail à l'étranger. C'est dans cette perspective que j'ai saisi l'opportunité de partir travailler dans le Nord-du-Québec.
Quels sont les avantages de travailler dans la région de Kuujjuaq?
J'aime l'environnement de travail au sein de l'organisme pour lequel je travaille, l'Office municipal d'habitation de Kativik (OMHK). J'ai toujours eu un excellent encadrement dans mon environnement de travail, ce qui facilite mon intégration dans la communauté. Le paysage nordique est majestueux, on peut facilement observer des aurores boréales au cours de l'année et il ne fait jamais complètement noir en été, il y a toujours un fil de lumière à l'horizon! Pour les amateurs de plein air, c'est un véritable paradis, et au point de vue professionnel, je crois qu'il y a davantage d'opportunités pour se développer puisqu'on est appelé à être très autonome et à se débrouiller avec des ressources limitées. Peu importe la durée du séjour, je crois que c'est une bonne expérience.
Quels sont les principaux défis auxquels vous devez faire face au quotidien?
Je suis loin de la famille, de mes amis, et l'hiver est particulièrement sombre : le soleil se lève à 8h et se couche à 15h! Dans ce coin de pays, il y a beaucoup de défis, et le travail demande de la persévérance, mais ce n'est pas nécessairement négatif. Contrairement aux conditions en habitation dans les grands centres urbains comme Montréal et Québec, la demande en logements sociaux demeure très élevée au Nunavik. Ce faisant, l'OMHK joue un rôle très important dans la communauté inuit et vise à améliorer la situation du logement social au Nunavik. Par ailleurs, nous qui arrivons de l'extérieur, avons des façons de faire bien différentes des communautés locales, et pour bien accomplir notre travail, il est essentiel de comprendre leur culture et leurs traditions.
Quels conseils auriez-vous à offrir aux ingénieurs qui voudraient tenter leur chance dans le Nord-du-Québec?
Je crois qu'on doit considérer la valeur du Nord autrement. On parle souvent du salaire plus élevé des travailleurs des régions éloignées, mais je crois qu'on doit aussi y voir la possibilité unique de tisser des liens avec les communautés locales qui ont tant à nous apprendre. Au fond, une expérience de travail au Nunavik, c'est comparable à une expérience à l'international! Et en passant, l'Office municipal d'habitation de Kativik recrute généralement des stagiaires en été, notamment pour l'inspection en bâtiment dans les 14 communautés du territoire du Nunavik. C'est d'ailleurs un poste en inspection du bâtiment qui m'a mené ici au départ, et qui m'a permis d'obtenir le poste de coordonnateur des projets pour rénovations majeures que j'occupe actuellement.
Watson Fournier, ing.
Directeur général,
Office municipal d'habitation de Kativik
Diplôme :
Concordia, génie civil, 1981
ieu de travail : Kuujjuaq
Ville d'origine :
Montréal
Années d'expérience :
32 ans, dont 30 dans le Nord-du-Québec
Pourquoi avoir choisi de travailler en région?
Après un stage à la Baie-James et quelques expériences de travail à Montréal, j'ai entendu parler d'une possibilité d'emploi pour un projet dans le Nord-du-Québec impliquant entre autres de la surveillance de chantier. En entrevue, le poste m'a paru intéressant et il semblait naturel pour moi d'aller voir ce qui se passait dans le Nord, malgré le fait qu'on m'avait parlé de la possibilité de coucher dans mon pick-up de temps en temps. Finalement, j'ai aimé l'expérience, et je suis resté.
Quels sont les avantages de travailler dans la région de Kuujjuaq?
Si on aime la nature, le grand air et la chasse, c'est merveilleux, et ai-je besoin de vous dire qu'il n'y a pas de trafic pour se rendre au bureau? Sur le plan professionnel, il y a davantage de défis puisque nous sommes laissés à nous-mêmes, et que nous devons être créatifs pour utiliser les ressources de façon optimale. En ville, les rues sont pavées, c'est plus facile qu'ici!
Quels sont les principaux défis auxquels vous devez faire face au quotidien?
Mon rôle de directeur général de l'Office municipal d'habitation de Kativik offre des défis d'envergure. Nous logeons 95% de la population sur tout le territoire, ce qui représente près de 3000 logements, et nous soutenons la communauté dans la réalisation de leurs projets d'habitation. Comme les membres de la communauté sont répartis dans 14 villages sans routes qui les relient entre eux, tout doit bouger par avion, ce qui implique des défis logistiques énormes! Il faut donc être prévoyant dans le travail tout comme la vie personnelle puisqu'on ne trouve pas toujours tout ce dont on a besoin dans les magasins de Kuujjuaq!
Quels conseils auriez-vous à offrir aux ingénieurs qui voudraient tenter leur chance dans le Nord-du-Québec?
On voit de moins en moins de jeunes qui veulent s'expatrier pour aller vivre ailleurs. Il faut être curieux et pouvoir s'adapter, il y a de beaux défis à saisir. Essayez! Le voyage forme la jeunesse!
Références: [1] Ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations, Portrait économique des régions, 2015, https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/regions/portraits_regionaux/portrait_socio_econo.pdf