Le génie entre incertitude et résilience : Crystel Grégoire

Dans mon dernier billet paru sur le blogue de Genium360, j’évoquais les difficultés que peuvent présentement rencontrer les jeunes professionnels en génie à se projeter dans un futur de plus en plus incertain. N’empêche, abandonner n’est pas une option. C’est d’ailleurs ce que s’est dit la diplômée en génie que j’ai récemment interviewée et qui, lorsqu’elle s’est retrouvée mise à pied lors de la pandémie, a décidé de ne pas lancer la serviette, mais plutôt de se relever les manches. Entretien avec Crystel Grégoire, CPI, conseillère – spécialité TI à Raymond Chabot Grant Thornton.

Le choix du génie

Crystel savait depuis l’école secondaire qu’elle souhaitait évoluer dans un domaine lié aux sciences naturelles, mais lequel? Pour s’ouvrir le maximum de portes et se permettre de continuer de réfléchir au domaine de spécialisation qu’elle choisirait plus tard, elle fait ses études collégiales en sciences de la nature. Elle profite des relations privilégiées qu’elle développe avec ses professeurs pour prendre conseil auprès d’eux.

« J’ai toujours été proche de mes professeurs. J’avais l’habitude d’aller les voir dans leurs bureaux pour leur poser des questions. À la fin de mon cégep, je suis allé voir un prof de physique que j’avais eu dans deux cours pour le consulter. Ma mère m’avait fortement recommandé le domaine de la pharmacie, mais je n’étais pas certaine. Après un moment de discussion, mon professeur m’a dit que je réfléchissais comme une ingénieure. Je me suis alors informé sur le domaine et auprès des différentes universités et j’ai fait mon choix à partir de là. »

De toutes les facultés de génie du Québec, Crystel choisit l’École de technologie supérieure (ÉTS), un choix surprenant dans son cas, puisque l’ÉTS accueille traditionnellement davantage d’étudiant(e)s ayant fait un DEC technique et non un diplôme préuniversitaire. Elle n’est cependant pas seule dans sa situation, de plus en plus d’étudiant(e)s au parcours similaire au sien s’inscrivant à l’ÉTS.

En effet, à la rentrée 2019, l’École située dans le quartier Griffintown à Montréal observait une augmentation de 20 % des inscriptions au cheminement universitaire en technologie (CUT) – la porte d’entrée des étudiant(e)s ayant fait un DEC en sciences de la nature – par rapport à l’année précédente. Crystel amorce donc le CUT en septembre 2014.

Elle mentionne le côté « concret » de l’École comme élément différenciateur et qui a lourdement influencé son choix. « L’ÉTS semblait plus axée sur la pratique versus la théorie. Il y a aussi trois stages obligatoires, l’intégration dans l’industrie, etc. C’est sûr que le CUT prend presque une année de plus, mais ce n’est pas grave si on prend en considération les autres avantages. »

Le CUT dure en effet 8 mois. D’ailleurs, consciente que cette « presque une année » supplémentaire pourrait être un frein pour plusieurs étudiant(e)s envisageant s’inscrire à l’ÉTS, l’École permet aux étudiant(e)s faisant ce parcours de commencer leur baccalauréat à l’été plutôt qu’à l’automne, leur sauvant ainsi 4 mois, et de possiblement faire créditer jusqu’à 5 cours du baccalauréat, leur sauvant ainsi un autre 4 mois.

Des télécommunications à l’informatique

Après le CUT, Crystel s’inscrit au baccalauréat en génie électrique. Elle choisit d’abord l’électricité de puissance comme domaine de prédilection avant de se tourner vers les télécommunications. « Quand je suis entré en génie électrique, je voulais coûte que coûte aller en puissance. C’est également ce pour quoi j’ai fait mon premier stage chez Hydro-Québec.

J’étais sidérée de voir qu’il y a des endroits dans le monde qui n’ont pas accès à l’électricité. Par contre, une fois en stage, je ne me reconnaissais pas dans cet environnement-là. J’ai fait mon deuxième stage chez Bell Canada dans le laboratoire des technologies avancées. C’est là que je me suis dit que j’irais en télécom. »

À mesure que ses études avancent, elle développe un intérêt de plus en plus marqué pour la compréhension interne des systèmes de télécommunications modernes. Elle ne veut pas que spécifier des équipements de télécommunications au sein de systèmes matérielles, elle veut entrer dans le ventre de la bête pour également comprendre les éléments logiciels du domaine.

Ainsi, après avoir complété son baccalauréat à l’ÉTS, elle entame en septembre 2019 une maîtrise professionnelle en informatique, spécialisée en apprentissage machine, à l’Université de Montréal. « Ma maîtrise s’inscrit en continuité de mon programme de bac, mais c’est quand même très différent. (…) Vers la fin de mon bac, j’ai pris un cours sur les systèmes intelligents et apprentissage machine [un cours portant notamment sur l’intelligence artificielle]. C’est vraiment là que j’ai eu envie d’approfondir ces connaissances. »

Elle poursuit cependant sa maîtrise à temps partiel, puisqu’elle accepte également en septembre 2019 une offre d’emploi d’une entreprise du secteur de l’automatisation et de l’assurance qualité. « Je travaillais à temps plein et je suivais un cours par session. »

Crystel Grégoire

La pandémie et l’avenir

La carrière de Crystel prend son envol pendant 8 mois sans qu’on aperçoive un orage à l’horizon. La pandémie et ses impacts happent Crystel de plein fouet, sans qu’elle ne l’ait vu venir. « Pendant la pandémie, j’ai été mise à pied temporairement. C’était la première fois que je vivais quelque chose de similaire.

Ça m’a pris un peu de temps pour digérer l’information. Je ne l’ai pas pris durement, car je voyais bien que c’était hors de mon contrôle et dans une situation vraiment particulière. Par contre, j’avais peur que ce soit difficile de me trouver du travail dans de telles circonstances. »

Crystel se relève les manches et cherche du travail. Après 3 mois de recherches, elle décroche finalement un poste de Conseillère Fiscalité R&D - Spécialité TI chez Raymond Chabot Grant Thornton, emploi qu’elle occupe à temps plein tout en poursuivant ses études de maîtrise à temps partiel, toujours à hauteur d’un cours par session.

De retour à une vie professionnelle active, Crystel privilégie une approche davantage opportuniste que planificatrice pour la poursuite de sa carrière. « Je m’intéresse à beaucoup de choses et je me laisse guider par les opportunités et mes apprentissages. Est-ce que je vais utiliser mon bagage de connaissances en télécommunications, en technologies de la santé ou d’autres domaines? Je ne sais pas encore. Je vais me laisser guider et m’ajuster en conséquence. » On ne nage donc pas dans la certitude, chose normale dans les circonstances actuelles.

Elle sait néanmoins qu’elle souhaite demeurer quelques années dans le secteur privé avant d’évaluer ses options. « C’est certain que les priorités changent en vieillissant, donc je ne dis pas non au secteur public ou paragouvernemental dans le futur, mais présentement j’ai vraiment envie de relever des défis et c’est dans le secteur privé où il semble y en avoir le plus. Ça ne me dérange pas d’être soumise au stress ou à des environnements de travail où il y a de la concurrence. J’ai envie de bouger et d’apprendre. »

Volonté et implication

Quand on parle à Crystel, on sent la passion, l’énergie, la volonté d’apprendre et de démontrer sa valeur comme professionnelle. N’est-ce pas d’ailleurs la volonté qui vous mènera le plus loin dans votre vingtaine?

Finalement, Crystel souhaite également s’impliquer au sein de la société, notamment afin de promouvoir les carrières en génie chez les jeunes filles. « Quand j’étais à l’ÉTS, je me suis impliquée dans deux clubs, notamment au sein des Ingénieuses.

C’est certain que promouvoir les sciences, surtout chez les filles, je trouve ça vraiment important. J’allais aussi dans les collèges et les cégeps pour parler des programmes de l’ÉTS et du monde du génie. Comme femme issue des minorités, c’est important de prendre la parole et de se présenter comme modèle auprès de gens qui méconnaissent le domaine et qui pourraient ne pas le considérer à tort comme choix de carrière potentiel. »

 

Photo by Jon Tyson on Unsplash.

 

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