Une brioche aux grillons pour dessert?

En Occident, les insectes sont encore considérés comme des rebuts, tantôt porteurs de maladies, tantôt symbole de saleté. Lorsque j'ai entendu parler d'UUSUQ, une entreprise montréalaise qui développe un projet de farines d'insectes, ma curiosité a été piquée et j'ai souhaité en savoir plus. Récit d'une rencontre surprenante avec Alonso Talavera et Alex Gabriel, les entrepreneurs derrière ce projet étonnant.

Pouvez-vous nous expliquer comment l'idée de développer les farines d'insectes vous est venue?

Alex Gabriel : Mon collègue Alonso, diplômé de génie chimique au Mexique, est actuellement à la maîtrise des procédés et environnement à l'École Polytechnique. Quant à moi, j'ai beaucoup travaillé en communication, puis étudié en gestion de projets. Jessica Dufresne, qui est candidate au doctorat en droit à l'Université d'Ottawa et spécialiste de la justice alimentaire, fait également partie de notre équipe. Ensemble, nous souhaitions développer un projet et avons exploré plusieurs idées relativement farfelues. Le projet UUSUQ, qui signifie « aliment » en inuktitut, a émergé suite à la lecture d'une série d'articles parus à l'été 2016 sur le lait de coquerelles et d'un rapport de la FAO intitulé Edible insects: future prospects for food and feed security[1]. C'est à ce moment-là que nous avons eu l'idée de monter une ferme à insectes.
Alonso Talavera : Je suis mexicain et cela fait partie de ma culture de manger des insectes, comme c'est aussi le cas dans beaucoup d’autres cultures. En cherchant de nouvelles sources de protéines et nutriments, cette idée m'a tout de suite plu puisqu’elle intègre également des facteurs environnementaux qui me tiennent particulièrement à cœur.

Quels sont les avantages d'utiliser des insectes dans notre alimentation quotidienne?

Alex Gabriel et Alonso TalaveraAlex Gabriel : Le rapport de la FAO en parle abondamment. Tout d'abord, c'est une source de nourriture facile d'accès. Ensuite, la proportion de protéines contenues dans 100 g d’insectes est, de loin, la plus élevée parmi toutes les viandes disponibles sur le marché (en moyenne ? 29 g de protéines/100 g de viande, contre une moyenne de 47 g de protéines/100 g d'insectes pour plusieurs espèces étudiées à différents stades de leur vie).
Alonso Talavera : Il faut aussi dire que l'empreinte énergétique pour produire 1 kg d'insectes est particulièrement faible lorsqu'on la compare à celle du boeuf ou du porc par exemple. Il faut 22 000 L d'eau pour obtenir 1 kg de viande de bœuf et si l'on rajoute celle nécessaire pour produire leur nourriture, l'entretien ou encore l'exploitation, les chiffres grimpent en flèche. Il n'y a pas d'étude chiffrée pour estimer la quantité d'eau nécessaire pour 1 kg d'insectes, toutefois, il y a fort à parier qu'elle est moindre. C'est pour toutes ces raisons que la FAO conclut que l'insecte est l'aliment de demain, celui qui pourra enrayer la malnutrition dans le tiers-monde, celui qui diminuera l'impact environnemental si les consommateurs le privilégient aux protéines animales.

Justement, parlons-en, l'acceptation sociale reste l'un des principaux freins à l'essor de votre entreprise. N'avez-vous pas peur que le virage ne se fasse jamais?

Alex Gabriel : C'est effectivement le principal défi de ce genre de projet. C'est pour cette raison que nous souhaitons dénaturer l'insecte et le présenter sous forme de farine afin de lui enlever son côté rebutant. Aussi, nous souhaitons vendre à l'industrie agroalimentaire ou à celle de l'alimentation animale, non pas directement aux consommateurs. On pourrait donc retrouver dans quelque temps, des barres énergétiques faites à partir de notre farine ou encore, de la moulée d'insectes pour les bovins.

Qu’en est-il de Santé Canada, du MAPAQ ou encore la FDA? Où en est la réglementation?

Alex Gabriel : À l'heure actuelle, il n'y a pas de réglementation concernant la culture et la commercialisation des insectes destinés à l'alimentation humaine. Comme c'est un domaine en plein développement, la législation est en retard, et ce même au niveau mondial, par voie de conséquence, il n'y a pas de contrôle. N'importe qui peut aller dans le parc du Mont-Royal ou dans une animalerie pour se procurer quelques insectes qui ne seront pas nécessairement propres à l'alimentation humaine, en faire la culture dans de mauvaises conditions et les revendre. Or, il n'y a aucune garantie de la salubrité de l'espace de culture ni de l'innocuité du produit. Tout problème qui en découlerait pourrait gravement nuire au développement de cette filière et nous ne souhaitons pas cela.

Où en est votre procédé? Comme c’est un projet totalement novateur, avez-vous rencontré des difficultés technologiques?

Alonso Talavera : À vrai dire, quelques étapes peuvent être transférées de technologies existantes, mais comme il n'y a aucun procédé existant spécifique à cette activité, la majeure partie doit encore être conçue. À l'heure actuelle, nous avons, par exemple, une problématique liée à la croissance et l'élevage : nous avons fait des essais avec une espèce de scarabée pour laquelle nous souhaitons travailler l'insecte au stade de larve adulte. Or, dans le même espace se côtoient des œufs, des larves à différents stades, des chrysalides et des adultes qui sont… cannibales!!! Il faut donc séparer les différents éléments et garder des adultes pour la reproduction, une étape particulièrement longue et fastidieuse qui pour l'instant, se fait à la main. Une automatisation partielle ou totale de cette étape serait donc nécessaire pour la rentabilité d'une production à gros volume. Aussi, l'abatage et la transformation doivent être faits de façon à ne pas altérer les propriétés nutritionnelles. C'est aussi cela qui rend le projet passionnant, toutes ces difficultés technologiques nous poussent à chercher plus loin, à rencontrer d'autres entrepreneurs qui travaillent cette filière, à comparer nos idées pour aboutir à la meilleure solution. L'équipe du projet UUSUQ souhaite maintenant évaluer l'ouverture du marché québécois relativement à cet aliment qui tarde à conquérir le cœur et la table des Occidentaux. Vous pouvez contribuer à leur projet en participant jusqu'au 1er mars à ce bref sondage : http://bit.ly/SondageUUSUQ. Les données recueillies leur permettront de comprendre le marché québécois et d'ajuster le projet en conséquence. Les entrepreneurs vous invitent à échanger avec eux sur les farines d'insectes et son intégration dans notre alimentation quotidienne via LinkedIn :

@Alonso Talavera @Alex Gabriel @Jessica Dufresne

Qui sait, ils arriveront peut-être même à vous faire goûter à des grillons frits épicés, vous verrez c’est délicieux!

[1] Edible insects: future prospects for food and feed security. (2013)  Arnold van Huis et al.

 

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